Mon Dossier De Presse - Martine PAGÈS

a
 
Martine Pagès est la gagnante du concours de nouvelles organisée par Patrick Poivre d'Arvor.
Pour vous, fidèles internautes, le texte "Feu Vert" dans son intégralité. Chapitre 2

Stéphanie ODEON - le 19/06/2007 - 18h14


Feu Vert

Chapitre 2

Je repasserai tes chemises, ferai notre lit au carré, comme à l'armée, en passant une main lente sur le drap du dessous, pour traquer la miette, la petite miette qui te donnerait du tracas à ton retour. C'est comme les moutons sous le lit, j'en fais une affaire personnelle, qu'ils ne prennent plus leurs aises, on est encore chez nous. Plus d'intrus sous nos fesses, j'aspire à éradiquer commandos de poussières et familles nombreuses d'acariens qui te valent, chaque hiver, des rhinites et allergies sans fin.

Je sourirai, je ne promets pas de rire. Quand on fera le compte des blessés sur la route cette année, aux informations parlées, qu'on comparera ce score à celui de l'an passé et que je saurai gré aux administrations d'avoir recensé ton cas malgré ta faute avérée. Oh, je pourrai toujours témoigner, mais de témoin je ne serai que de notre amour, témoin et partie, on fera peu de cas de la couleur verte que tu croyais avoir aperçue, le jour où tu as enfreint la loi et mis en danger autrui, ce jour, rappelle-toi, où tu avais pensé à mes reins et que tu croyais que comme ils existaient, tout était possible. Ne t'escrime pas à mettre en avant ta myopie, et si tu étais vraiment daltonien tu ne me dirais pas tout le temps que je suis verte de jalousie quand l'infirmière te présente la rondeur de ses seins pour mieux te faire avaler la pilule et la piqure qui s'en suit.

Je suis branchée sur le 320. Je pratique le Feng-Shui intensif dans notre appartement, pour que les flux positifs y trouvent leurs repères et le trajet à suivre pour assainir nos chambres, et inonder notre pièce à vivre de sa sérénité chinoise.

Je découpe les photos où je ne suis pas belle, toi tu dirais Je t'aime quand même, même moche. Je veux que ton sourire, volé au Palais des Doms d'Avignon, prenne toute la place sur le papier.

J'ai décidé de perdre trois kilos. Pour toi. Je proscris les mets en sauce et les repas à caractère gras. Riches en lipides et glucides qui se marient ensemble, dès qu'on a le dos tourné et enfantent d'inavouables adipocytes en pagaille, dans les fesses et dans le ventre, sans respect aucun d'un délai naturel de gestation.

Aujourd'hui, ton regard est rouge des larmes que tu retiens. On va regarder de plus près cette poussière que tu prétends sentir rouler sous ta paupière. Je mets du collyre sur tes iris auxquels je tiens comme à la prunelle de mes yeux. J'y plonge les miens, y vois un océan de chagrin, des mascarets de peine, un tsunami de douleurs, il s'en faudrait de peu pour qu'une émotion de plus ouvre les vannes. Ta bouche dessine la forme d'un petit pont, la même que celle d'un enfant qui est sur le point de pleurer et concentre le peu de réserve de force dans sa mâchoire tendue, à deux doigts de mordre à la vue de son genou en sang.

Je ne pleure pas non plus, même si ta tristesse est contagieuse, et j'ai juré sur la plus adorable des têtes de ne t'offrir que de la liesse. Quand un pays est ravagé par une épidémie, on prend ses précautions, on s'immunise pour braver les maladies et visiter sans crainte les sites historiques et les splendeurs locales. On pleure au retour, dans l'avion qui nous ramène, on fait défiler les paysages numériques et nos visages dorés par le soleil. On est ému, d'un coup, par cette couleur indéfinissable, par ces tons de misère qui nuancent les photos.

Je fonds en larmes chez moi, salis les coins des taies de mascara, épuise un paquet entier de mouchoirs en papier, manque m'étouffer par cette boule qui joue au chat dans ma gorge...

Je me ressaisis, j'ai promis d'être plus gaie encore qu'une descendante de Zavatta. Quand il reviendra, le temps des cerises...Non, trop nostalgique. Ah, qu'il est beau, qu'il est beau le lavabo. Non, trop décalé, il faut un minimum d'à propos. " Les baladins ", de Bécaud, oui c'est çà, " Les marchés de Provence ", et je chante à tue-tête et mime un chef d'orchestre aux commandes de cette interprétation très personnelle que je fais de " l'Ode à la joie ". Cà tambourine dans les murs des voisins rabat-joie, je monte le volume de ma voix pour t'envoyer, par le biais de cette télépathie à laquelle tu crois, mon concert d'artiste soliste, les baisers qu'on m'adresse en retour, les applaudissements des spectateurs que j'envisage en masse et les articles des critiques qui m'encensent déjà. Je sais qu'à cet instant, tu ouvres ton bal, joue sur mes dorsales, du piano sur mes reins.

Pour lire le chapitre 3/4 cliquez ici.



Retour à l'accueil

2007-2024