Mon Dossier De Presse - Martine PAGÈS

a
Crédit Photo : DR
 
Martine Pagès est la gagnante du concours de nouvelles
organisé par Patrick Poivre d'Arvor (56,4% des voix).
Pour vous, fidèles internautes, le texte "Feu Vert" dans son intégralité.

S.O. - le 19/06/2007 - 18h13


Feu Vert

Chapitre 1

Il m'avait dit, avant de cligner d'un œil puis de clore les deux de concert pour un profond sommeil, de prendre soin de moi, de continuer à m'enduire d'onguents parfumés à la fleur de Tiaré et de chanter des priapées, parce que mon capital de joie de vivre avait l'air intarissable, comparé au nombre de jours que le corps médical lui promettait de vivre encore, taisant les nausées, les névralgies, le fauteuil mobile et les insomnies. Il y aurait puisé des réserves d'énergie, des mois, des années en plus, pour le plaisir de faire mentir son temps présumé de sursis. J'avais promis, et quand je promets je jure sur la tête des miens, sur les plus précieux pour donner du prix à mon vœu, un caractère majestueux, à hauteur de l'enjeu. J'avais parié sur sa tête à lui, finalement sur ce que j'avais de plus cher et de plus luxueux, sur la tête de Christophe. Je profiterai de la vie pour toi, mon amour, pendant qu'on s'acharnera à redonner bonne mine à tes muscles, un semblant de vie, une improbable agilité prochaine, en intimant à tes jambes de reprendre pied avec la réalité, sur ce tapis roulant censé te conduire en droite ligne sur la voie des valides.

Ta voiture est en lambeaux, c'est pas beau à voir si on compare la compression artistique de ton coupé avec la photo du catalogue qui t'avait fait opter pour ce modèle métallisé, quand tu avais coché les options que je jugeais inutiles sur ce modèle qui promettait en série le prestige à portée de main, la conduite fluide et facile. Un modèle tout terrain...Ta voiture est en ruines, mais c'est rien ces restes de ferraille, ces bouts de verres coupants et ces phares éteints pour longtemps, le plaid de la plage arrière maculé de sang et de boue, la boite à gants béante et les sièges perforés. Que de la tôle froissée !

Tu dors. Avec ta colonie de cafards de remords. Avec le souvenir du feu que tu as grillé et l'écho récurrent de l'impact qui te réveille encore et encore, et je prends ta main C'est fini, tout va bien, un affreux cauchemar. Un camion de fer, d'acier, de métal et de plomb, intact et rutilant comme pour jouer d'ironie après le choc, comme pour rappeler, fort de son volume, les règles élémentaires du code de la route que tu avais oubliées, le temps d'une seconde, celle qu'il t'avait fallu pour penser à mes hanches et aux raisons de ma croupe...Comme s'il s'agissait de te punir du tort et de l'infraction, en réduisant ton jouet en miettes, et aussi tes jambes pendant qu'on y est, qu'à ton cou tu n'as pas eu le temps de prendre, saisi par la frayeur et la vitesse de l'accident.

Alors je continue de vivre, je chante des chansons à boire, ah le petit vin blanc, le temps des cerises et autres chants paillards. Y a d' la joie, pour confronter la tristesse à l'espoir qui nous fait vivre, toi, moi. Toi avec ta rage et ton projet d'assaut de faces cachées de hauts monts, moi et ma confiance en Dieu éraflée. Je convertirai mes prières en jurons, en menaces, je lancerai des défis au ciel pour qu'on apporte enfin sur terre la preuve que le Tout puissant est bien digne de son nom. Je ne sais pas, moi, un signe divin, spectaculaire et télégénique. La photo de moi encadrée sur ta table de nuit, par exemple, il la mettrait à terre sans discrétion. L'équipe de nuit évoquerait l'hypothèse de télékinésie, mais on saurait, nous deux, que c'est bien un signe, une manière de clin d'œil, pour certifier ses pouvoirs sur les hommes, pour dire Le meilleur est à venir, alors " il " finirait, de guerre lasse, par restituer leur tonicité à tes jambes et ta foi en l'avenir.

Je t'ai promis de vivre, de continuer. Et d'alimenter nos pensées, nos impatiens et les cloches bleues de nos céanothes, les thuyas de notre terrasse. De nourrir ton frère d'amour et d'inonder tes sœurs de baisers. J'ai juré de respirer pour deux, de humer les fragrances de la nature, jusqu'à l'ivresse, saturée de chlorophylle. Je ferai la folle qui aboie dans les sous-bois, à traquer Bambi et sa famille de cerfs disparate, à déclamer Baudelaire et Rimbaud sous l'orme et l'arbousier. J'ai craché parterre, je croquerai un morceau de mascaret, un bout de l'atlantique, ton océan préféré, sur la toile vierge que tu m'as offerte. J'y jetterai en pagaille les bleus et les gris des flots, et aussi le vert de la mer en colère, et les cris de joie des poissons en cavale, dans les vagues de ton atlantique. Je filmerai le ressac de la mer, j'en ferai des clichés, pour voir dans tes yeux le bleu et le vert que tu liras à ton réveil, quand je poserai les photos sur ton torse. Je courrai à l'aube, et Dieu sait si je suis du soir. Je cracherai une partie de mes poumons quand j'aurai fait le cent mètres, j'aurai une pensée pour toi, je libérerai ma bile derrière le marronnier, en pensant aux centimètres à l'heure que tu parcours avec fébrilité, sous surveillance médicale, avec les encouragements burlesques d'une entraineuse en blouse blanche qui te félicitera pour les millimètres de plus, en épongeant ta sueur, sans savoir, l'idiote, que tu participais, avant le passage au rouge, à des compétions sportives.

Je caresserai Pimpon, notre chien cathodique, qui ne remue son auguste séant qu'au son des pubs et des génériques, et ne trouve le sommeil profond qu'après l'extinction des Feux de l'amour et la digestion des nombreuses réponses aux nombreuses questions de Questions pour un champion.

Martine Pagès

Pour lire la suite : chapitre 2/4



Retour à l'accueil

2007-2024